Je dois reconnaître que j'ai beaucoup de mal à m'intéresser à la campagne de 2017, et c'est un peu comme avec l'orientation des élèves, ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent faire après la troisième. Je leur dis que parfois, le plus simple c'est de procéder par élimination, si on ne se voit pas passer 8 heures par jour dans un bureau on peut éliminer pas mal de professions, si on ne se voit pas passer 8 heures dans le froid on peut éliminer aussi pas mal de professions, si on est d'une timidité maladive on peut éliminer les métiers de la vente et ainsi arriver à cerner un profil, un peu à l'envers. En politique pour moi c'est un peu pareil, il suffit de parfois procéder par élimination en entendant certains arguments de candidats. Le candidat Sarkozy a une obsession par exemple pour le travail des enseignants, et pense qu'il faut nous faire travailler plus. On a du chômage en France, on s'enfonce dans le classement PISA, l'école devient de plus en plus difficile avec des enseignants qui ont de plus en plus l'impression de faire garderie et chez cet homme c'est un discours qui est récurrent, puisqu'à l'époque de son quinquennat il évoquait déjà cette possibilité qui revient encore dans ses annonces pour sa candidature à la présidentielle. Laissez moi vous raconter ma journée de jeudi.
Arrivé à l'école à 7h40, photocopies en masse, dépannage divers et variés de collègues pour des problèmes informatiques. Cours de 8h10 à 12h10, je passe la porte de la salle des profs on me demande d'aller regarder un vidéo projecteur qui ne fonctionne plus alors qu'il y a une formation dans nos murs. 12h35 j'ai fini de diagnostiquer la panne, 13h05 j'ai fini de manger, je récupère un cable VGA pour remplacer, 13h15 le vidéo projecteur est en marche la formation pourra se faire. 13h15 téléportation, à table on m'a dit que la grosse boîte marron qui était posée en salle des profs était certainement pour moi, c'est mon switch pour l'une de mes salles qui a pris un coup de chaud, monter les charnières pour la partie rackable, répondre à 10 personnes en même temps sur des problèmes informatiques ou pédagogiques, 13h35 je finis de monter le switch mais je n'ai pas le temps de mettre les câbles et d'arranger le réseau, téléportation je vais aux toilettes, 13h40 j'entre en cours pour finir à 16h40. Ce qui me fait donc une journée de 16h40-7h40=9 heures - 30 minutes de repas = 8 heures et 30 minutes. Je prends la route à 17 heures car pendant 20 minutes j'ai dépanné du monde en informatique et j'arrive chez moi à 18 heures sans aucun problème d'embrayage qui a pourtant été mis à rude épreuve car un agriculteur a eu la bonne idée de rouler à 25 km/heures sur une nationale bourrée dans les deux sens à une heure de pointe où il est suicidaire de doubler. 30 minutes pour prendre la température familiale, signer quelques papiers d'enfant, les devoirs ont été fait mercredi après midi, merci la profession d'enseignant, j'appelle une maman, 10 minutes, je prends conscience d'un document de quatre pages touffu sur l'état médical d'un enfant, je réponds aux parents, je fais un long mail pour faire le point sur ma classe et sur les appels que j'ai passés, j'estime que ça nous fait une heure et je corrige mes copies jusqu'à 22h30, j'ai pris le temps de manger une heure en famille. Si je fais le calcul : 8h30 au lycée + 20 minutes d'aide + (22h30-18h30-1 heure= 3 heures) me donne à la louche une journée de 12 heures de travail.
Tout ce qui a été réalisé est payé par mes fonctions. J'ai une prime pour l'informatique, j'ai une prime de prof principal, je suis payé pour faire le boulot mais la question est toujours la même c'est une question de taux horaire et de savoir où on s'arrête. Le cas le plus probant est celui de prof principal, on a une prime de 1200 pour l'année cela se ramène sur 10 mois d'école à 120 € par mois. En ce début du mois de septembre, pour cette responsabilité, j'ai facilement franchi le cap des 10 heures, c'est vraiment pour donner un exemple, ça se ramène donc à un taux horaire de 12 € de l'heure, autant aller bosser chez Mac car ce sera certainement plus proche des 5 € d'ici la fin du mois. Et c'est ici toute la subtilité du métier d'enseignant, mais aussi du cadre, tu as un salaire, la seule chose qui compte c'est que le travail soit réalisé sans tenir compte du nombre d'heures passées à réaliser la tâche. Comme il n'y a pas de compteur, comme le travail n'est pas toujours palpable, certains vont se contenter de faire répétiteur de livres quand d'autres vont se lancer à corps perdu dans l'innovation pédagogique, à l'arrivée c'est un peu comme la mort, on est tous égaux, seul les années, l'échelon fait la différence que tu sois un glandeur ou un gars sérieux la paye est la même.
On pourrait faire remarquer à juste titre, que le nombre de jours de vacances chez l'enseignant est indécent et rien que pour ça, le jeu en vaut la chandelle. Ça se discute. Les gens qui ont mon âge se rappelleront certainement que dans leur enfance plus ou moins un tendre, quand on rentrait avant le 16 septembre c'était presque un scandale et pourtant un soulagement pour des enfants qui n'avaient que 3 chaînes de télévision et plus de 2 mois et demis de vacances, limite 3. Les dates des vacances 2016, du 6 ou 7 juillet pour rentrer le 31 août. On me rétorquera qu'à l'époque la Toussaint et Février n'étaient pas sur des périodes de deux semaines mais d'une dizaine de jours mal foutus et pourtant c'est un peu comme le passage à l'euro, la sensation vague d'y avoir quand même laissé sa chemise avec les années. Rajoutons à cela qu'avec les très nombreuses réformes, il faut du temps pour se former, pour réaliser, j'ai pour ma part passé des vacances très studieuses quand certains ont commencé à Googler leur cours après la rentrée.
Il ne s'agit pas de se plaindre, j'ai déjà eu une vie avant en tant qu'ingénieur, et quand je jugerai que le jeu n'en vaut plus la chandelle j'irai vendre des kebabs en bord de mer ou j'irai bosser à SPAR. Le dernier point peut vous paraître étrange avec un décalage de paye conséquent entre celui d'un caissier et d'un enseignant, les avantages et le reste, mais si on retire la route (SPAR est à 200 mètres), les frais de voiture (embrayage mon amour), le métier qui est difficile, si la maison est payée, au lieu de me faire une retraite à 65 passés avec des gamins qui seront devenus fous furieux et me casser le dos dans la voiture, j'irai servir les touristes allemands avec le sourire. Il ne s'agit donc réellement pas de se plaindre mais de voter en fait, selon un processus d'élimination. A l'heure actuelle vous avez dû lire de nombreux articles sur le droit à la déconnexion et le problème général qui vient en fait des cadres par eux mêmes. Les temps sont difficiles, on s'accroche au travail, on vit dans la culpabilité et la peur de la perte de l'emploi, on ne décroche jamais, les profs c'est pareil. Ce qui est intéressant c'est qu'alors que notre profession est totalement déréglementée et que le discours populaire de base s'arrête à "les profs c'est des faignasses qui ont 6 mois de vacances et 18 heures de cours par semaine", l'école devient le terrain de la connexion permanente avec un enseignant qui répond 24 heures sur 24. Un enseignant, pas les enseignants, car comme je l'ai précisé plus haut, j'ai certains collègues à qui je ne donne pas l'information par écrit mais verbalement car ils ne consultent pas leur boîte mail. Ainsi quand on commence à évoquer un allongement du temps de la durée de travail chez les profs c'est quand même qu'on a raté un épisode. Le gars qui connaît la situation d'une bonne majorité des profs qui est sérieuse est conscience joue la technique du canard pour éviter d'avoir à sortir le carnet de chèque et payer les heures sup qui ne sont pas sup car elles ne sont pas encadrées mais en aucun cas de parler d'augmentation du temps de travail.
Vous noterez que j'évoque ici ma situation professionnelle seulement, je n'évoque pas le primaire où là c'est fête la plus complète. Les instits qui pour éviter aux familles dans cette école de la république où tout est gratuit de se saigner les veines organisent des ventes les jours fériés, les dimanche, les fêtes des écoles jusqu'à 2 heures du matin, afin de faire baisser les tarifs des voyages scolaires qu'elles organisent. Rajoutons à cela les parents d'élèves bénévoles qui se la donnent eux aussi pour pas un rond et on a un système scolaire qui fonctionne comme il peut sur le dos du bénévolat et de la gratuité, dès lors évoquer le temps de travail témoigne d'un grand manque de compréhension de ce qu'est l'école aujourd'hui, comme ne pas connaître le bon coin témoigne d'une méconnaissance de la vie de ses compatriotes.
Si je ne sais toujours pas pour qui voter en 2017 et je dois reconnaître que ce n'est certainement pas ma première des préoccupations, je commence déjà à voir pour qui je ne voterai pas.
en complément : un article de 2013 avec de la marave dans les commentaires.