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Channel: Le portail de Cyrille BORNE
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Comprendre le monde de l'éducation et cette rentrée si particulière qui devient une routine

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Comme vous n'êtes pas sans le savoir, nous sommes en pleine réforme du collège, et c'est la foire la plus complète. Ma dernière réforme du collège c'était ma première année à Clermont l'Hérault, il y a donc 5 ans environ, on nous avait livré le référentiel dans le courant du mois de décembre et on nous avait annoncé qu'il fallait les appliquer pour le brevet de l'année courante. En gros quelle que soit la progression de l'enseignant, on changeait le programme, en retirant et ajoutant des trucs, à lui alors qu'il a été propulsé par le canon de la rentrée de se débrouiller en plein vol pour changer de trajectoire et atterrir quatre kilomètres à côté. Forcément on s'en doute, on s'écrase. Finalement car on aime jouer à se faire peur, on avait eu la bonté de décaler à la rentrée suivante mais de se planter dans le sujet de maths du brevet agricole en mettant les probabilités alors qu'elles n'étaient pas encore entrées au programme, et par le fait modifier à la volée le barème de l'épreuve. C'est ici qu'on a l'exemplarité du tout vite, j'ai eu des gamins qui sont revenus me voir pour me dire qu'on ne l'avait pas fait, donc ils ont stressé sur la copie, peut être certains sont restés bloqués, de l'autre les profs de maths dont je faisais partie à l'époque on fait la remontée pour signifier que ce n'était pas au programme, à vouloir aller vite on finit par faire mal les choses et c'est bien un spécialiste de l'urgence qui le dit. 

Dans les 8 ans passés dans le Cantal, je n'ai vécu que deux réformes. La transformation du BTA en BAC PRO qui était une logique, la transformation du BEPA + BAC PRO en BAC PRO 3 ans, qui quoi qu'on en dise aussi était une logique. Je crois que cette notion d'urgence, cette folie du changement rapide, nous vient du quinquennat du président Sarkozy, ce que l'on décrivait comme le super président. En gros dès que l'actualité était frappée d'un drame, deux jours après on avait une loi qui s'appliquait à ce drame sans tenir compte du contexte, des conséquences, du long terme. Ce phénomène de l'urgence de la mesure politique n'a pas changé et on reste dans le vite y compris et je dirais surtout dans le domaine de l'éducation où l'on voit dramatiquement la France s'enfoncer dans le classement PISA et à l'instar du gars qui est dans l'avion qui pique du nez on a plus tendance à appuyer sur tous les boutons en même temps plutôt que de chercher une démarche logique. La différence certaine entre le pilote de ligne et le type qui se retrouve aux commandes sans formation après avoir fait trois du deltaplane. 

Si votre enfant est au collège ce qui suit risque de vous intéresser, voici comment se passe désormais. A une époque on avait le livret de compétence, le LPC qui était une corvée de fin d'année que tout le monde remplissait à l'arrache car n'ayant pas de conséquences sur l'examen alors qu'il devait être bloquant pour tout élève ne le possédant devient désormais les 5 domaines de compétence et compte pour 400 points. 3 épreuves : mathématiques, sciences physiques, biologie d'un côté, histoire, français, éducation morale et civique de l'autre, un oral sur le parcours de l'élève pour 300 points, le nouveau brevet est à 700 points. 

Voici le vrai problème à l'heure actuelle, les fameux 400 points déjà que personne ne comprend rien de notre côté, je vais essayer de le faire au plus simple. Comme le livret de compétence a été un échec et que tout s'oriente vers la compétence comme c'est déjà le cas chez les primaires, il fallait se débrouiller pour coincer les profs et les forcer à faire le job, car les profs c'est pas compliqué, seule la note compte. On a donc feinté en associant à des compétences une note de la façon suivante : Maîtrise insuffisante 10 points, Maîtrise fragile 25 points, Maîtrise satisfaisante 40 points, Très bonne maîtrise 50 points. Vous pourriez me faire remarquer qu'alors ce n'est pas si compliqué puisqu'il suffit de faire le chemin inverse et à la proportionnelle sur un contrôle sur 20 associer la maîtrise qui va bien selon la note, sauf que ce serait trop beau. Si l'on prend par exemple notre bon vieux théorème de Pythagore, et bien il n'y a pas d'endroit où l'on va pouvoir évaluer la compétence "savoir appliquer une formule d'un vieux mathématicien mort", il y a la compétence sur l'interprétation des résultats. Ce qui veut dire concrètement que la mise en oeuvre, on s'en moque, ce qui compte c'est la discussion autour du résultat, un truc sur lequel on bataille avec nos élèves de terminale BAC ...

On a donc ces compétences qui ne sont pas simples, le travail de groupe, la capacité de l'élève à s'organiser, certaines notions qui en fait sortent du cadre de l'école et qui nécessiteraient de mettre des caméras chez lui. Et si ces notions ne sont pas simples, se rajoute une complexité supplémentaire, l'orientation de l'élève basée sur les bonnes vieilles notes à l'ancienne. Car et c'est bien ici le problème, ce nouveau livret est encore une fois ambitieux et quand tous les parents deviennent chèvre parce que leur gamin de 15 ans n'est pas foutu de préparer son sac, la vision théorique qui est faite est totalement idyllique. Concrètement si on en revient à notre bon vieux Pythagore qui fait toujours partie des programmes, de ce côté là il est increvable, il faut bien évaluer quand même quelque part que le gosse est capable de faire un Pythagore. Pénaliser un élève qui saurait faire du Pythagore mais qui a du mal à interpréter le résultat c'est pénaliser un ouvrier qui travaille sur une chaîne de montage et qui ne serait pas capable de construire l'intégralité de l'avion alors qu'il fait parfaitement sa tâche. Ici encore, on sent qu'on a zappé les professionnels qui existent pourtant dans l'éducation nationale et pas seulement dans l'agricole pour un "diplôme" qui serait purement intellectuel. Je me suis perdu et je reviens. J'écrivais donc que l'orientation était encore basée sur les notes. Cela signifie que nos contrôles sont en double notation, d'une part la note traditionnelle qui va quand même valoriser le gamin qui sait faire son Pythagore mais qui a du mal à philosopher derrière, d'autre la compétence pour le DNB.

Un peu plus loin. J'évoquais plus haut les fameux cinq domaines, et le bon sens aurait voulu qu'à l'instar du fameux livret de compétence on nous livre un document de cinq pages avec l'intégralité des compétences à évaluer sauf que si vous cherchez Livret de Compétences DNB 2017 et bien vous ne trouvez pas le bon livret à papa en PDF. Car le problème, c'est que si vous avez du baratin dans le descriptif des domaines, si tout le monde n'a pas exactement la même chose, cela signifierait qu'il y aurait une interprétation pédagogique de la chose. J'ai donc téléphoné au prestataire de service qui gère notre ENT pour trouver des gens qui sont en gros dans la même panade que nous, sachant que comme nous ils sont aux premières loges. Et oui, il faut bien que les enseignants puissent saisir les compétences quelque part, donc dans l'ENT et c'est là que je pense, j'ai vu la lumière : Livret Scolaire Unique, le LSU auquel il faut rajouter numérique. Le LSU est un livret, numérique, accessible aux parents, et dans lequel figure les compétences de l'enfant du CP à la fin de troisième. On peut alors supposer que les compétences de troisième sont celles qui seront utilisées pour le DNB. Ces compétences semble-t-il ont été éditées par l'éducation nationale, le problème c'est que pour les intégrer à l'enseignement agricole il faut le logiciel SIECLE de gestion des élèves que nous n'avons bien évidemment pas. 

Si vous n'avez rien compris, c'est normal, si cela ne vous intéresse pas je peux le comprendre mais sachez que c'est une préoccupation qui devient obsédante et préoccupante pour nous. A aucun moment quelqu'un ne nous a pondu le guide du DNB 2017 de l'évaluation à l'alimentation des ENT pour le livret, la spécificité traditionnelle de l'enseignement agricole où les enfants passent le même diplôme que dans l'éducation nationale mais que personne ne sait comment ça marche pour vous et qui vous êtes (l'enseignement agricole ? Attendez je demande à un responsable). Les évaluations ont commencé, comme certains collègues ne se sentent pas totalement concernés car rien n'est clair, ils n'ont rien prévu en évaluation de compétence et feront comme d'habitude à l'arrache, difficile d'expliquer aux familles quand ce n'est pas clair pour nous. Et puis, ce DNB qu'on pensait voir disparaître, ce DNB qui ne détermine en rien l'affectation des élèves pour leur futur établissement, se transforme en gouffre à travail supplémentaire alors qu'il n'a aucune incidence sur l'avenir de l'élève et c'est ici qu'on se rend compte qu'on est encore dans la création de problèmes.

Car, si on voulait vraiment que tout le monde entre dans cette réforme, il aurait fallu au moins deux ans pour la préparer. Un an comme nous l'avons eu pour voir apparaître les textes définitifs dans la fin de l'année scolaire 2016, 1 an supplémentaire pour que les formateurs passent de partout pour répandre la bonne parole. Seulement une année supplémentaire nous aurait amené vers 2018 avec obligatoirement un changement de ministre puisque les élections seront passées par là. Si on voulait vraiment que tout le monde entre dans cette réforme, on aurait été clair, on aurait laissé le temps mais on aurait surtout mis un enjeu. Que l'élève réussisse ou non son DNB, il connaîtra son orientation parfois même avant d'avoir passé l'épreuve, quel intérêt dès lors de se la donner. Je ne pense pas que ce soit un phénomène qui soit propre au sud, mais ici le taux d'absentéisme pour l'examen est important, que dire des élèves qui posent le stylo au bout d'une heure pour partir le plus vite possible en vacances. 

Tout ceci ne fait que contribuer à l'épuisement d'une population déjà épuisée, les profs, ces gens qui étaient enseignants, qui sont devenus éducateurs, désormais maîtres incontestés de la high tech et qui n'arrivent pas à suivre le train qu'on essaie d'imposer, pas réellement en adéquation avec le jeune d'aujourd'hui, sa famille la société. Rarement je n'ai vu une rentrée aussi difficile d'un point de vue professionnel, avec peut être fait du hasard des collègues absents, fatigués, pas seulement dans mon établissement mais partout autour, dans des écoles, des lycées, des collèges. A l'heure actuelle, nous pilotons sans les outils de navigation et dans une grande tempête, les pilotes chevronnés savent qu'on finit tôt ou tard par voir la lumière ou finir par s'écraser. 


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