En début de semaine, je vois mon collègue de la technique qui râle. Nous devons nous inscrire dans une démarche de tri, une démarche un peu écolo, et forcément c'est chez les profs que c'est le plus catastrophique. Le prof c'est comme un élève mais en pire, il est pourtant plus facile à manipuler qu'un élève car il est beaucoup plus prévisible. Dans notre très grande salle du personnel, une grande poubelle à papier à côté des photocopieurs, dans le reste de la salle, des tas et des tas de poubelles. Le prof s'il est à une table de travail doit se lever et jeter ses papiers à plus de 4 mètres, le prof jette donc ses papiers dans la poubelle la plus proche. A chaque problème, une solution pédagogique. La remédiation est très simple, on vire toutes les poubelles de la grande salle, on met dans la pièce centrale une poubelle à papier jaune, on met à côté de la poubelle jaune du photocopieur, une poubelle à déchets et on obtient de très très très gros progrès. On remarque tout de même que les gobelets de cafés commencent à apparaître sur les tables, la poubelle étant trop éloignée, j'expliquais qu'on devrait prendre des élèves comme ramasseurs de gobelets comme à Roland Garros, j'espère que personne n'a pris ma proposition au sérieux.
Bon je le reconnais, ce n'est pas de la pédagogie. La pédagogie aurait voulu qu'on fasse une pièce de théâtre devant les enseignants avec une tenue de capitaine planète et de montrer comment la pollution c'est mal et le tri c'est mieux.
La pédagogie, cette forme de pédagogie ne tient pas à grand chose. Hier après-midi, mercredi après-midi donc, nous étions avec mes élèves de seconde la seule classe à bosser. Une chaleur à crever, des élèves dont le conseil de classe est ce soir, des élèves qui n'attendent qu'une seule chose, partir en vacances. Ce sont de braves gosses qui aiment la note, sur les 26 élèves, 24 étaient présents, une absente de longue maladie, un seul donc a fait péter. A la fin de l'évaluation ils ont été quelques uns à venir me dire au revoir car ils partaient en vacances, mon collègue CPE me disait qu'on en aurait certainement perdu la moitié d'ici la fin de la semaine ce qui d'ailleurs me fait me demander ce que je vais faire avec ceux qui restent. La pédagogie, la véritable pédagogie aurait été d'expliquer que l'école c'est formidable, qu'ils ont la chance d'aller à l'école pour se cultiver quand certains sont forcés d'avoir des vies toutes pourries et se battent pour aller à l'école.
Est ce que les profs ont compris réellement l'importance du tri, la démarche ? Oui sans aucun doute, de la même manière qu'on a tous compris que la vitesse tue mais ça n'empêchera pas d'appuyer sur le champignon parce qu'on est pressé. Ce qui est certain c'est qu'on va quand même lever le pied à l'approche d'un radar parce que 90 € dans les dents ça fait mal. Est-ce que mes élèves ont réellement compris l'importance de l'école, la chance qu'ils ont de pouvoir vivre leur vie de jeunes et de ne pas être dans un pays en guerre, un pays où ils auraient l'obligation d'aller travailler pour manger ? Pas si sûr, ils en ont certainement vaguement conscience, mais se prendre un 0 en maths parce qu'on a fait péter, ça fait désordre à la veille du conseil de classe.
De là à dire que la pédagogie ça n'existe pas, je ne franchis pas le pas. Je mentionne tout simplement que parfois, la meilleure idée du monde, celle qui pourrait sauver l'humanité, si elle doit avoir une petite contrainte, et bien pour aider un peu, il faut mettre à la clé un enjeu encore plus contraignant ou tout simplement positionner quelques artifices pour guider un peu.
De là à dire que les grands discours ne servent à rien, il y a un pas que je franchis un peu. Les grands discours ont leur importance car ils vont en faire percuter plus d'un, et ces gens qui prennent conscience ont alors envie de changer le monde, même s'il faut passer parfois par des méthodes pas vraiment orthodoxes. Il me parait donc aussi important de faire de grands discours que de trouver de grosses ficelles pour essayer de les mettre en application même si elles ne font pas appel à l'intelligence tant attendue des concitoyens.